Toujours d’humeur égale, tout en souplesse et vivacité d’esprit, Félix improvise comme il respire. Mais surtout il transmet sa discipline avec une ferveur communicative. Pédagogue hors pair, il insuffle le plaisir du jeu à ses élèves et les invite à être curieux de tout.
Interview avec un pilier de la Manuf’!

Quel est ton parcours professionnel et théâtral ?

Je suis originaire de Caen, en Normandie. J’ai grandi dans une famille bourgeoise qui m’a donc sensibilisé très jeune au théâtre. J’ai commencé par suivre des ateliers amateurs de théâtre et d’improvisation théâtrale à l’âge de 8 ans, où j’ai rencontré le professeur qui deviendrait mon mentor et un ami très proche, Ludovic Duchesne. Un type punk, hors de toutes conventions. J’ai continué sous son aile pendant des années. Après mon Bac, j’ai fait mes études au Conservatoire de Caen, sous la direction de Virginie Lacroix qui m’a sensibilisé aux écritures contemporaines.
Suite à la validation des mes études, j’ai immédiatement été recruté au sein d’une compagnie Normande d’improvisation théâtrale, la Compagnie Macédoine. C’est à cette même période que j’ai commencé à enseigner de manière régulière, et que j’ai découvert toute la passion que j’avais pour la transmission. Après près de 3 ans, j’ai décidé de quitter ma Normandie pour venir vivre à Paris, mais n’y possédant que très peu de contacts, j’ai choisi d’entamer à nouveau une formation professionnelle, afin de me créer ce réseau, si indispensable à notre travail. J’ai donc rejoint la Manufacture de l’Acteur, où j’ai eu comme professeurs ceux qui sont aujourd’hui mes collègues. En 2016, j’ai monté ma propre Compagnie artistique, la Cie PAF!, mêlant texte, improvisation et théâtre-forum. En 2018, je commence à travailler pour deux prestigieuses compagnies d’improvisation théâtrale : la Ligue Majeure d’Improvisation et Paris Impro. La même année, je suis engagé comme professeur de théâtre et d’improvisation théâtrale au Cours Clément et à la Manufacture de l’Acteur. Depuis, je continue d’enseigner avec passion et travaille également avec beaucoup d’autres compagnies, à Paris, en Normandie et en Nouvelle-Aquitaine, que ce soit pour des projets de mise en scène, de spectacles improvisés ou de théâtre-forum.

Comment décrirais-tu ta méthode de travail ?

Je suis irrémédiablement marqué à la fois par mes manières bourgeoises, héritées de ma famille, et par un léger état d’esprit punk, ou au moins Rock’n Roll insufflé par des personnalités comme Ludovic Duchesne, Virginie Lacroix, Rémi Chenylle, entre autres. Je me suis construit sur cette dichotomie, et c’est elle qui aujourd’hui me dicte ma méthode de travail. Il m’est insupportable de savoir que certain(e)s se sentiront toujours illégitimes à prendre la parole. Je fais donc tout ce qu’il m’est possible pour que mes élèves puissent s’approprier mes cours et ma pédagogie, qu’ils soient capables de la comprendre, de l’analyser, de l’adapter. Le plus important dans un apprentissage, c’est avant tout sa compréhension. Quel sens donner à tout cela. Je n’apporte aucune réponse à mes élèves, je ne fais que les guider, pour que leur construction professionnelle soit la plus complète possible, en tentant de leur apporter toute ma rigueur et mon exigence. C’est un métier difficile, pour lequel il faut avoir les épaules solides. Il faut donc être préparé à cela. Car ce travail, s’il est un plaisir, ne peut se dissocier d’un grand acharnement, d’une curiosité sans limites, et d’une exigence à toute épreuve, que ce soit sur un travail de texte ou d’improvisation théâtrale.

Quel est ton univers théâtral ? Les auteurs que tu aimes travailler ?

J’aime avant tout la langue française, pour ce qu’elle a de riche, de mélodieuse et d’élégante. J’ai donc un profond attachement pour le théâtre de Racine, car l’Alexandrin reste, à mon sens la métrique la plus merveilleuse, la plus précise et la plus belle de notre langue. J’y aime également ses personnages, pour leurs failles, et surtout pour leurs choix. J’aime les auteurs qui mettent en lumière la solitude, l’incompréhension, la révolte, les vices humains… Des auteurs comme Shakespeare, Carole Fréchette, Didier-Georges Gabily, Georg Büchner.
En improvisation, il nous est souvent demandé d’improviser « A la manière de » tel ou tel auteur. Il faut donc savoir trouver du plaisir à travailler tous les styles, tous les auteurs et tous les univers, pour nous les approprier par la suite.

Qu’est-ce que tu aimes dans l’enseignement ?

Découvrir mes élèves. Tout part d’eux ! Leur partager mon amour de mon métier, leur laisser la place de s’exprimer, de créer, tenter de leur inculquer la rigueur et le travail nécessaires à ce milieu. Apprendre à les connaitre, pour les aider à trouver leur manière de faire, à eux, qui leur soit propre. Il est nécessaire de comprendre qu’il y aura toujours autant de manières de faire du théâtre que de gens pour en faire. A chacun de trouver sa propre méthode. D’où l’intérêt d’une formation pluri-pédagogique, pour que chaque élève puisse choisir de s’approprier une première chose chez un professeur, une deuxième chose chez un autre professeur, une troisième chose chez un autre etc. afin de se construire sa propre méthode de travail, qui lui convienne et qu’il puisse à son tour transmettre.
Je suis très réticent aux « méthodes » toutes faites (les méthodes Meisner, Stanislavski, Brechtiennes, Johnstonniennes, Feldenkrais etc.), ou tout du moins, je suis très méfiant envers ceux qui en font parole d’évangile et les appliquent de manière rituelle, quasi sacrosainte. Ces méthodes peuvent avoir du bon, mais elles ne doivent pas être exclusives, sans quoi, l’acteur en perd toute spontanéité et toute authenticité.
Nous pratiquons un métier d’oralité, où la technique ne se trouve pas dans des livres scolaires. Il est donc nécessaire que la transmission de ce métier soit également orale et passe par la pratique. La technique est nécessaire, mais il faut savoir la dépasser. D’où l’importance de l’enseignement.

Quelles sont tes références ?

Robert Lepage, pour ses mises en scène audacieuses, esthétiques et tellement investies.

Robert Gravel, pour la vision qu’il avait de l’improvisation théâtrale et de ce que devait devenir cette discipline dans le milieu artistique. Également pour avoir accouché il y a seulement 40 ans d’un spectacle au TEM (Théâtre Expérimental de Montréal), qui aujourd’hui rayonne à l’international et est porteur de grandes valeurs humaines, artistiques et éthiques.

Meryl Streep, pour son incroyable amplitude, son intelligence de jeu, sa disponibilité évidente à ses directeurs d’acteurs, son engagement sans faille dans son travail et son plaisir à jouer, toujours palpable.

Alain Degois, dit « Papy » et Jean-Baptiste Chauvin, ainsi que l’ensemble de Déclic Théâtre, pour leur militantisme, leur passion et leur amour de la transmission.

Qu’est-ce tu aimes chez un.e comédien.ne ?  

Sa disponibilité et sa curiosité. Il faut avoir envie d’apprendre, de travailler, et être toujours prêt à évoluer. Le spectacle vivant, c’est un métier qui demande à être toujours en mouvement. Les comédiens doivent donc être prêts à être eux-mêmes en perpétuelle remise en question. Je ne cherche pas de comédien(ne) qui « fasse bien », mais plutôt quelqu’un qui « fasse le maximum ». Je n’aime pas les individualistes qui cherchent avant tout à tirer leur épingle du jeu, au détriment de leurs partenaires. Il n’est jamais question de faire une démonstration, mais bien de travailler ensemble. Ce métier, c’est toujours un sport d’équipe.

Quel(s) conseil(s) donnerais-tu à un comédien.ne ?

Sois à l’écoute, de tout, de tout le monde et tout le temps. Tu n’es jamais seul(e) et ce sont tes partenaires (qu’ils soient comédiens, techniciens, metteurs en scène, publics ou que sais-je encore) qui seront tes meilleures ressources de jeu.

Portrait chinois :

Si tu étais une pièce de théâtre ?
Hamlet. Classique, mais efficace.

Si tu étais un auteur de théâtre ?
Racine. Classique, mais efficace.

Si tu étais un.e comédien.ne ?
Robert Mitchum, peut-être…

Si tu étais un personnage de fiction ?
Antoine Doisnel. Mais apparemment, je ressemble davantage à D’Artagnan alors…

Si tu étais un film ?
« Blade Runner », de Ridley Scott. Ou « Volver » de Pedro Almodovar.

Si tu étais une réplique de film, de théâtre ou une citation ?
« Le problème avec les citations sur Internet, c’est qu’il est toujours compliqué de savoir si elles sont authentiques » – Napoléon Bonaparte

Cinéma ou théâtre ?
A jouer, théâtre. A voir, cinéma.

Fiction ou réalité ?
Réalité. Autrement, je me demande ce que nous lirions si nous vivions dans la fiction.

Classique ou contemporain ?
Les deux, pourquoi choisir ? Il y a du bon et du moins bon des deux côtés. Mais avec une légère préférence pour le classique car, du classique il ne nous reste aujourd’hui que le meilleur. Concernant le contemporain, le temps n’a pas encore fait le tri.

César, Oscar, Molière ou Palme d’Or ?
Aucun.

Comédie ou Tragédie ?
Je ne crois pas que cette distinction existe encore aujourd’hui… Il n’y a pas de tragédie sans comique et il n’y a pas de comédie sans tragique. Sinon, la mayonnaise ne prend pas.

Monologue ou Dialogue ?
Dialogue, toujours.

Improviser ou suivre le texte ?
Là, c’est Papa ou Maman… Tout dépend du spectacle d’abord, mais aussi du directeur d’acteur, du metteur en scène etc. Malgré mon amour de l’improvisation, j’aime suivre un texte. Il faut de la place pour les deux. Donc les deux, tant que c’est fait avec sérieux.

Molière ou Shakespeare ?
Shakespeare.