En plus de sa casquette de professeure d’interprétation, Clémence est la Directrice pédagogique de la Manufacture de l’acteur. La solidité de la formation à la Manufacture doit beaucoup à son investissement sans faille et à sa recherche permanente de cohérence et de complémentarité entre les différents enseignements délivrés par les intervenants. Cela demande beaucoup de temps, de communication…et de talent évidemment !

En tant que professeure d’interprétation, son exigence et sa grande bienveillance ont été saluées par toutes les promotions qui ont eu la chance de l’avoir en cours. Comme tous nos intervenants, Clémence mène de front enseignement, direction pédagogique et projets au sein de sa compagnie « Et plus si affinités… » Et avec tout ça, elle trouve le temps de répondre à notre interview. Puisqu’on vous dit que c’est la Wonder Woman du théâtre !

Quel est ton parcours professionnel et théâtral ?

J’ai suivi une formation de comédienne, puis de mise en scène, à Lyon et aux Ateliers du Sudden à Paris. J’ai créé ma Cie de théâtre en 2005. J’ai été également formée à Londres, au contact de metteurs en scène de la Shakespeare Cie et de réalisateurs de la BBC. Ma Cie a actuellement 3 spectacles qui tournent en France et pays frontaliers. Nous en sommes à notre 10ème Festival d’Avignon et ma dernière création « Jouliks », a reçu le Prix des Coups de Cœur de la Presse l’année dernière. Je suis actuellement en train de préparer la création de deux projets : un shakespearien et une pièce originale. Mais chut… c’est encore un secret ! Et je suis Membre de l’Académie des Molières.

Comment décrirais-tu ton travail / ta méthode ?

Il s’agit de permettre à chacun de s’épanouir dans la pratique théâtrale en faisant découvrir aux élèves les outils et techniques qui seront leurs meilleurs alliés tout au long de leur parcours professionnel. Je n’aime pas le terme de « professeur », nous ne délivrons rien d’exhaustif, c’est un échange de pratiques, un accompagnement et chaque élève comédien se fera sa propre boîte à outils en fonction de ce qui lui sera utile. J’aime travailler sur la discipline du corps, la connaissance de son instrument de travail, de sa voix, de son regard, pour pouvoir l’utiliser dans son plein potentiel. Se connaître soi-même et connaître ses limites : deux bases pour évoluer sainement dans notre métier. Après un échauffement poussé, chaque cours est consacré à un point technique, toujours illustré à travers des exercices de recherche, de laboratoire, avec ou sans support de texte.
Je prends grand soin du bien-être de chacun et de l’ensemble du groupe en portant un regard attentif et bienveillant sur l’ensemble de mes élèves. J’aime les pièces chorales où tout le monde est sur le plateau, les grands ensembles, les effets de groupes : souvent magnifiques au plateau, ils permettent de passer le plus de temps possible sur scène. Je travaille avec différentes méthodes : les outils du théâtre shakespearien, le travail des alexandrins, travail sur la corporalité du personnage et beaucoup de techniques propres à la création de personnages. Une de mes marottes.

Quel est ton univers théâtral ? Les auteurs que tu aimes travailler ?

J’aime travailler les pièces qui permettent une mise en scène chorale. Parce qu’ainsi tous les élèves participent et sont le plus souvent possible au plateau et parce que l’énergie de groupe est décuplée. J’aime les univers sombres, shakespeariens, les trames complexes, les personnages tout en nuances. Shakespeare donc bien sûr, et aussi les auteurs anglo-saxons comme Bond, Pinter ; les auteurs germaniques, Wedekind, Brecht, Martin Sperr, qui plantent leurs intrigues dans des univers noirs et glauques. Les compositions de personnages se révèlent magnifiques à élaborer dans ces pièces ! J’aime aussi les alexandrins, pour leur musicalité et le formidable terrain de jeu et d’apprentissage qu’ils permettent d’explorer.

Qu’est-ce que tu aimes dans l’enseignement ?

J’aime transmettre les techniques que j’ai eu le bonheur d’expérimenter à travers mon parcours, en France et en Angleterre. J’aime donner les outils et techniques pour voir progresser un comédien, esquisser un personnage puis l’incarner, le voir prendre confiance en son potentiel de création, puis le voir, le jour de la première, se mettre corps et âme au service d’un rôle, d’un personnage, d’une œuvre, d’une troupe. C’est ce parcours depuis le premier cours jusqu’à la représentation que j’aime à voir et à accompagner.

Quelles sont tes références ?

Peter Brook, Yoshi Oida, Mihail Tchékhov (travail sur la mécanique du corps de l’acteur et le Monologue Interne), Kenneth Branagh.

Qu’est-ce tu aimes chez un.e comédien.ne ?

La mise en danger sur un plateau, le lâcher prise, ce moment exaltant où on réalise qu’une fois les techniques maîtrisées, on peut incarner totalement un personnage en se libérant des contraintes et du regard de l’autre, ce moment où l’on sait qu’on ne joue pas pour le public mais avec le public. J’aime ces moments de transcendance où un comédien s’est tellement approprié le texte, le volume et la gourmandise des mots, que la magie opère et que nous perdons toute notion du temps afin de ne nous concentrer que sur l’instant scénique.

Quel(s) conseil(s) tu donnerais à un.e comédien.ne ?

Se détacher du regard de l’autre. Afin de pouvoir révéler sa vraie nature de jeu ! Et s’amuser sur scène ! La phase d’apprentissage est faite de remises en question : on réapprend à appréhender son corps, sa voix, sa gestuelle, ses émotions. Il faut donc accepter de tester les limites de son instrument, sous les regards bienveillants, et d’essayer, de « bouffer du plateau », comme on dit dans notre jargon. « Essayez, plantez-vous, essayez, plantez-vous encore. Echec positif », comme disait Samuel Beckett.

Portrait chinois :

Si tu étais une pièce de théâtre ?
« Cyrano de Bergerac » pour la virtuosité d’écrire et la beauté, la musicalité hallucinante du texte.
Si tu étais un auteur de théâtre ?
Shakespeare
Si tu étais un comédien / une comédienne ?
Emma Thompson
Si tu étais un personnage ?
Béatrice dans « Beaucoup de bruit pour rien »
Si tu étais un film ?
L’adaptation de « Beaucoup de bruit pour rien » par Kenneth Branagh
Si tu étais une réplique de film / théâtre ou citation ?
« Vise en dessous de la ligne de flottaison sinon le bateau il coule pas. Et puis profites-en l’équipage est bourré. » Depardieu dans Tenue de soirée
Cinéma ou théâtre ?
Théâtre
Fiction ou réalité ?
Les deux mon capitaine ! L’une nourrissant l’autre et réciproquement !
Classique ou contemporain ?
Classique
César, Oscar, Molière ou Palme d’Or ?
Les récompenses ne sont pas une fin en soi…
Comédie ou Tragédie ?
Tragédie
Monologue ou Dialogue ?
Monologue. On en apprend souvent beaucoup plus sur l’intimité des personnages…
Improviser ou suivre le texte ?
Suivre le texte en se réinventant à chaque fois !
Molière ou Shakespeare ?
To be or not to be… that’s the question….