Pour devenir comédien, on est amené à étudier à la fois le théâtre contemporain et le théâtre classique. Nos élèves en deuxième année passe chaque année l’épreuve du cycle classique. Pendant trois mois, ils étudient et jouent des scènes d’auteur classique, de Shakespeare à Molière, en passant par Racine et Corneille. Alors qu’ils sont sur le point de monter sur scène pour jouer Looking For Hamlet au Théâtre Montmartre Galabru (en savoir +), Clémence Carayol, qui enseigne ce cycle classique, a répondu à nos questions pour nous faire découvrir un peu plus les enjeux de cet apprentissage.

Pourquoi cette volonté de mettre en place un cycle de théâtre classique en deuxième année ?

Clémence : Parce que c’est comme pour l’apprentissage musical, si tu veux jouer du jazz, à un moment il va falloir que tu fasses tes gammes classiques. On commence ce cycle en deuxième année, parce que c’est un niveau de technicité et de difficulté qu’on ne peut pas aborder avant. Il faut déjà être dans le corps et avoir pris conscience du texte, de ce qu’il peut raconter, et être rentré dans le volume des mots.

Pour la volonté de traiter le classique, c’est surtout parce que c’est un bon exercice pour se confronter à la difficulté de la versification et voir comment transformer une contrainte en liberté. Il s’agit de s’affranchir du carcan des alexandrins pour réinjecter de la vie, du concret, du réel, du jeu, du corps, de la voix, du kinesthésique dans une forme en douze pieds très codifiée. De plus, les alexandrins, la versification, ou le pentamètre iambique de Shakespeare ont aidé à dessiner la musicalité des langues; c’est donc important pour comprendre la langue telle qu’on la pratique de nos jours..  

Peux-tu nous parler du déroulé de ce cycle de théâtre classique?

Clémence : Dans un premier temps, il s’agit d’aborder le répertoire classique, avec des pièces à la fois en alexandrins et en prose, et de les relier avec les cours d’histoire du théâtre. Il s’agit de plonger les élèves dans cette ambiance classique, de voir comment on en est arrivé au théâtre dit classique historiquement et de comprendre la transformation de notre langue, de voir quelles mutations elle a engendré pour le théâtre. Il s’agit également d’aborder les alexandrins de manière très formelle et studieuse, pour comprendre comment se décompose un alexandrin, avec tous ces petits pièges et subtilités comme les diérèses, les synérèses.

Enfin, nous préparons une œuvre classique, socle de notre représentation publique finale dans un théâtre parisien.

 

Qu’attends tu des élèves pendant cette période?

Clémence : J’attends d’eux qu’ils soient très rigoureux dans le travail. Ils doivent dépasser les peurs qu’ils ont parfois quand ils abordent ce cycle parce qu’ils imaginent le théâtre classique comme rébarbatif et soporifique. Ou trop impressionnant ! Je les invite donc à sortir de leur zone de confort, à être curieux pour découvrir que le classique est en fait super vivant. Je dis souvent en plaisantant que Shakespeare aurait adoré Game Of Thrones parce que c’est tout à fait cet univers violent, charnel, où les morts sont représentées “sur scène”, à vue, contrairement au théâtre de Racine par exemple, qui fait écho à ses pièces. 

 

Est-ce que tu peux nous dire d’où te vient cette passion pour Shakespeare?

Clémence : Mon premier coup de foudre, c’est le film Beaucoup de Bruit pour rien, adapté par Kenneth Branagh, qui réunit un casting international assez délirant. C’est une des premières adaptations que j’ai vue de Shakespeare et un des films qui m’a donné envie de faire de la mise en scène. La liberté d’adaptation dont Branagh a fait preuve et la maestria avec laquelle il a sublimé l’univers de l’auteur m’avaient bouleversée à l’époque. A mon sens, Branagh est le metteur en scène qui a le mieux compris l’esprit shakespearien.

Cette passion pour Shakespeare a également été alimentée par mes études d’anglais, de linguiste et de comédienne, et par les rencontres professionnelles que j’ai pu faire à Londres au Théâtre du Globe avec des metteurs en scène de la Shakespeare Company. Ça me fascine qu’un auteur qui a vécu il y a 400 ans continue à nous parler, à faire vibrer des spectateurs et à titiller notre imagination, plusieurs siècles plus tard, alors que de nombreux paradigmes ont changé. L’universalité des thèmes des pièces de Shakespeare est très puissante. J’aime Shakespeare parce que je trouve qu’il y a tout dans son théâtre et qu’on s’en sort grandi, dans l’évocation des thèmes, dans la forme du pentamètre iambique et dans la puissance qui se dégage de ses pièces. 

 

Qu’est-ce que tu cherches à faire ressortir en montant les pièces de cet auteur?

Clémence : Le côté intemporel et universel, les possibilités multiples que son théâtre offre en termes d’adaptation. L’universalité, l’intemporalité, la profonde humanité de personnages qu’on pense être infaillible : voilà les thèmes shakespeariens qui me parlent et que je cherche à mettre en exergue, toujours en ayant à cœur de ne jamais trahir le propos. Ces personnages paraissent de premier abord très loin de nous et de la réalité, mais ils vivent avant tout des passions humaines, des jeux de pouvoir, de la jalousie, des amours contrariées et des trahisons : quelle source intarissable d’inspiration !.

 

Est-ce que tu peux nous parler de Looking For Hamlet, l’adaptation que vous montez cette année ?

Clémence : C’est un clin d’œil, un hommage au Looking For Richard d’Al Pacino, un film que j’adore et dont je trouve le procédé très malin puisqu’il nous montre les coulisses de la création d’une œuvre shakespearienne. Le postulat : comment monter une œuvre comme Richard III-ou Hamlet dans notre cas-qui est une des pièces les plus jouées au monde ? Quand tu dis “to be or not to be” dans la plupart des pays occidentaux, on sait que c’est Shakespeare. Ce qui m’intéressait, c’était de créer un pont entre notre année 2022 et l’époque de la genèse de l’écriture d’Hamlet.

J’ai également eu un gros coup de cœur pour l’essai d’Olivier Py Hamlet à l’impératif, dans lequel il compile dix ans de recherche et de travail sur Hamlet. Dans son ouvrage, Py fait dialoguer les personnages de la pièce avec des figures littéraires et philosophiques telles que Freud ou Sartre, et bien d’autres encore.. Il s’agissait de révéler la modernité du propos d’Hamlet tout en appuyant davantage la forme métathéâtrale (mise en abyme du théâtre, ndlr) de la pièce. Parler de l’humain, à l’humain, à notre faillible humanité, à notre fantasme d’être les héros de notre histoire, les maîtres de notre destin.

 

Quelle autre pièce de Shakespeare aimerais-tu monter?

Clémence : Hamlet est une pièce à laquelle on a peur de s’attaquer: c’est LA pièce shakespearienne par essence et le spectateur la connaît; il y a donc des attentes et un fantasme autour de la pièce et du personnage. Comment en tant que metteur en scène, s’approprier une œuvre qui est rentrée dans l’inconscient collectif? That’s the question !

Pour répondre à la question, j’aimerais beaucoup monter Beaucoup de Bruit pour rien mais j’ai trop la version de Branagh en tête, et j’aurais peur de ne pas réussir à m’affranchir de la magie que j’ai ressentie en regardant son film. Il faudrait que j’ai un parti pris totalement différent, mais son adaptation me semble tellement juste que ça s’annonce compliqué. Il y a un Macbeth qui me trotte dans la tête, mais c’est un très gros projet avec beaucoup de costumes, de la composition musicale, beaucoup d’effets, donc : réflexion en cours…

 

Si tu avais dû choisir un autre auteur que Shakespeare pour le cycle de théâtre classique ?

Clémence : Je ne choisis pas en amont sur quel auteur on va travailler. J’attends de voir quelle est la répartition hommes/femmes, l’énergie qui se dégage du groupe, ce qu’il m’inspire. Je me serais sans doute orientée vers Racine, en partant sur une pièce en alexandrins. Cette année, Shakespeare s’est imposé de manière assez évidente : les élèves avaient envie de s’y confronter, il y avait une vraie appétence pour cet auteur donc on y est allé. 

 

Des idées pour l’année prochaine?

Clémence : Peut-être Molière cette fois. Le fait de choisir une pièce pour 14 ou 16 comédiens, ça demande de remanier le texte pour avoir des partitions égales. Donc je partirais sans doute davantage sur un thème autour duquel nous construirions une trame scénique en panachant plusieurs œuvres. J’ai envie de rendre la forme plus interactive également. Ca fait deux ans maintenant qu’il y a une représentation dans un théâtre parisien, et il faut que je prenne en compte que ce n’est pas juste une restitution de travail mais aussi une représentation pour des spectateurs. Il faut réfléchir à ce qu’on a envie de montrer, de raconter aux spectateurs. Et encore une fois, la composition du groupe et son énergie scénique guidera mon choix. To be continued…

 

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