Cette année, on a décidé de vous présenter nos élèves de 3e année. C’est l’occasion de faire le bilan sur leur entrée dans la vie de comédien. Aujourd’hui, nous vous proposons de rencontrer Raphaëlle, qui a eu l’opportunité de présenter son spectacle De Boue et d’Or dans le cadre de notre Carte Blanche.
Qui es-tu ?
Je m’appelle Raphaëlle, j’ai 26 ans et je suis en troisième année à La Manufacture de l’Acteur. Avant ça, j’ai fait du théâtre en amateur, et j’ai été prof d’histoire. Je me suis rendue compte que ce n’était pas du tout ce que je voulais faire. Donc j’ai fait une grosse reconversion professionnelle à 24 ans, et me voilà ici.
Comment as tu croisé la route du théâtre ?
Depuis toute petite ! J’ai un souvenir très précis de mon grand frère qui faisait des marionnettes, et à trois/quatre ans, je m’étais dit que je voulais faire comme lui. Puis, j’ai fait du théâtre au collège et au lycée et c’est comme ça que je me suis dit que le théâtre était un moyen d’exprimer ce que je n’exprimais pas forcément ailleurs.
Quels sont les objectifs pour la suite ?
J’aimerais bien poursuivre des projets artistiques à la fois en tant que metteure en scène et interprète. Mais aussi, je voudrais utiliser le bagage théâtral et musical, puisque la musique est très importante pour moi, au service de l’art-thérapie. J’ai besoin de ce double aspect d’à la fois apporter quelque chose sur un plateau dans un processus de création, et en même temps d’être dans l’accompagnement de personnes.
Est-ce que tu peux nous parler de la pièce que vous avez emmenée à Avignon l’année dernière ?
Les Tracasseries domestiques c’est une pièce de Carlo Goldoni, qui n’a jamais été jouée en France. C’était un vrai challenge parce qu’on était 12. Il fallait trouver comment faire vivre cette comédie, en s’inspirant à la fois de la Commedia Dell’Arte, mais en respectant le parti-pris, qui était de jouer à la manière de la comédie italienne des années 70-80. Il y avait beaucoup de rebondissements. Et puis comme les garçons jouaient des filles et les filles des garçons, il y avait une contrainte de jouer un autre sexe que le sien, et de jouer des personnages qui étaient très loin de nous.
Quel personnage jouais-tu?
Je jouais Pantalone. C’était un double défi parce que c’est un vieux, et que c’est un homme. C’est un personnage à priori très loin de moi, un médiateur, dans la pièce, entre deux familles qui se déchirent. C’est intéressant de jouer un rôle d’entremetteur, qui fouine un peu partout, qui à priori a des bonnes intentions mais qu’on a travaillé par un prisme différent, où ses intentions ne sont finalement plus si claires. Le point de vue de mise en scène de Rémi Chenylle était très intéressant.
Je jouais également dans une double distribution un avocat véreux, comme on s’en imagine beaucoup dans la comédie italienne, qui venait défendre ses intérêts financiers auprès d’Ottavio. C’est un personnage haut en couleurs, qui apportait beaucoup de contrastes avec Pantalone qui restait dans quelque chose de psychologique. Cet avocat était quelque part un cliché du mafioso italien.
Lequel tu as préféré ?
J’ai aimé jouer les deux pour des raisons très différentes. Je dirais que l’avocat, c’était vraiment là où je pouvais donner toute mon énergie et j’aime beaucoup donner sur scène une énergie très puissante. L’avocat était le plus facile parce qu’il était très direct. Pantalone, c’était beaucoup plus en psychologie et en tenue, donc plus dur à jouer, mais intéressant dans le travail.
Comment as tu approché le fait de devoir jouer un homme ?
Ça n’a pas été évident et heureusement qu’on avait eu un travail sur le corps avec Camille Lélu. Je dirais qu’on part du corps, des attitudes à priori masculine, et de comment on les fait devenir siennes. Etant une femme, j’ai essayé de m’approprier ces codes et de réflechir à comment penser comme un homme, dans la vision stéréotypée qu’on en a. C’est un travail de grand écart. Et le contexte mafieux, avec cet univers très machiste, nous donnait pas mal de codes à exploiter. Comme le parti-pris était clair, c’était plus facile d’aller dans la caricature, mais le défi était de ne pas partir dans une caricature qui manque de sincérité et de finesse. Rémi Chenylle en était très soucieux.
Est-ce que tu as eu des surprises à Avignon, des choses auxquelles tu ne t’attendais pas ?
Je ne m’attendais pas à ce qu’on s’en sorte aussi bien. Je m’attendais à ce que certains soirs soient une catastrophe et malgré tout, malgré les éventuelles dissensions, on était vraiment une troupe. Chacun donnait le meilleur et chacun a fait preuve d’une réelle endurance.
Comment est-ce qu’on gère la vie en communauté pendant un mois?
Ce qui était particulier, c’est qu’on était dans deux maisons, et je pense que ça a rendu ça plus simple que si on avait été tous dans une seule. Mais comme on s’y attend, c’est la communication le nerf de la guerre. Il faut mettre les tensions à plat dès qu’il y en a, et on se réunit tous pour en parler. Et tout le monde s’implique dans la résolution des conflits.
Quel conseil aurais- tu donné à ton toi du passé avant de partir pour Avignon ?
J’étais relativement sereine, mais je me dirai de me laisser tranquille et de profiter beaucoup plus de l’instant présent, d’être beaucoup plus à l’écoute de mes partenaires et de ce qui se vit sur et en dehors du plateau. Et de vivre d’autant plus intensément les choses, même les moments où on a pas envie et où on est fatigués, parce que le mois passe finalement très vite. Et après on regrette.
Comment c’était comme expérience pour toi finalement ?
C’était une très bonne expérience, je m’attendais à beaucoup plus de difficulté, et je suis très heureuse d’avoir fait ça avec la troupe de l’époque. On a vraiment tous tenu dans le temps et ça s’est globalement très bien passé. Pour un premier avignon, je m’attendais à ce que ce soit plus compliqué à gérer, et que ce soit au plateau, que ce soit dans les parades, dans le tractage, ou les soirées entre nous, on a réussi à maintenir un bel esprit de troupe et à grandir. Ce qui était beau, c’est qu’on a vraiment vu la pièce évoluer entre les premières fois où on faisait ce qui nous avait été demandé en répétitions, et les dernières où on a pu, en respectant la mise en scène bien sûr, prendre cette liberté tous ensemble de faire évoluer nos personnages jusque là où on le voulait. Cette belle évolution de la pièce tous ensemble, c’était réellement une belle expérience.
Est-ce qu’une rencontre t’as marqué?
Je ne sais pas s’il y a une rencontre extérieure qui m’a marquée. En revanche, j’ai appris à mieux connaître certains de mes camarades. Le fait d’être tous dans la même galère et dans les mêmes contraintes, il y a quelque chose d’unique qui se vit.
As-tu un moment préféré ?
J’ai deux moments préférés. Mon anniversaire est le 14 juillet, en plein festival, et toute la journée s’est déroulée avec une super bonne ambiance, la représentation s’est très bien passé, et on est allé au Village du OFF après. C’est le seul jour où on a pu y aller avant l’instauration de nouvelles contraintes sanitaires. Et puis une des dernières journées, où on s’est vraiment lâché sur le plateau. On avait trois spectateurs, mais c’était une de nos meilleures prestations et les gens ont ri tout le temps, c’était incroyable.
Des attentes pour l’Avignon de cette année ?
Aller encore plus loin dans l’exploration des personnages, prendre plus de libertés. Je veux continuer dans ma lancée de réussir à dépasser mes limites et les lignes fixées par le metteur en scène. Et en termes de pièce, je crois que j’ai peu de doutes sur ce qui nous attend. Connaissant notre cher metteur en scène (Grégory Bellanger, ndlr), il y a des chances que ce soit un vaudeville. J’avoue que je ne suis pas une immense fan du vaudeville mais je sais qu’il le fait très bien, et je sais que ce sont des pièces qui marchent très bien à Avignon et qu’on a une très bonne troupe pour le faire. J’aurais aimé une création, je serais intéressée par le travail sur des écritures mais je suis ouverte à toutes propositions.
Quels sont les projets pour cette année ?
Je vais faire un stage comme assistante mise en scène au CRR d’Aubervilliers. Je suis très contente parce que la mise en scène ça m’intéresse beaucoup et ça me permet vraiment de mettre les pieds en plein dedans, et c’est pour un opéra en plus, Erminia sul Giordano, de Michelangelo Rossi , donc quelque chose de très différent. Ça me permet de travailler à la fois le côté théâtre et le côté musique et comme ce sont les deux domaines qui m’intéressent, je suis très contente. Et par ailleurs j’ai commencé à donner des ateliers théâtres pour des enfants dans des écoles et j’essaie de travailler les deux pôles, la création et l’accompagnement.
Un mot de la fin ?
C’est l’heure de jouer ! C’est le mot de Xavier Lemaire qui disait, et ça m’a toujours marqué : “Quelle heure est-il ? C’est l’heure de jouer !”
On vous parle très vite du reste de la troupe, alors restez aux aguets !